Ligne de démarcation

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1940. Passages de lignes.

Départ de Malzéville vers la zone libre 13 août 1940.

Détail du trajet

14 août 1940.

C’est une journée particulièrement chaude, mais contrairement à ce qui est habituel dans l’Est, nullement orageuse. Par cette chaleur supportable, je pédale sans hâte, conservant le même rythme. Les kilomètres succèdent aux kilomètres. Je suis calme, décontracté, tant est grande ma certitude de réussir.

Le paysage n’existe pas. Dans mon esprit, il est remplacé par l’image d’un petit ruisseau enjambé par le canal de la Marne à la Saône, aux environs de Piépape, dans la Haute-Marne. Ce canal constitue la ligne de démarcation entre « zone interdite » et « zone occupée ». Ponts, écluses sont soigneusement gardés, mais ce petit passage ne l’est pas. Le franchir doit être aisé, le ruisseau étant peu profond à cette époque de l’année. Le renseignement mérite d’être vérifié. Vers 17 h, je m’approche du village, désireux de reconnaître de loin le passage que j’emprunterai de nuit. Sur la route, je rattrape une voiture, chargée de luzerne, conduite par un jeune homme. Je descends, marchant à ses cotés « Vous allez à Piépape ? questionnai-je ? – Oui – de l’autre coté du canal ? - Oui – Les Allemands ne vous demandent rien ? Non, ils me connaissent. J’ai un laisser-passer pour aller chercher les récoltes. – Alors, laissez moi me cacher dans votre voiture, il faut que j’aille en zone libre ! »

Je puis affirmer que l’hésitation du jeune homme fut de courte durée. « Oui, mais le vélo dit-il ?» -« Je le laisse dans une haie et vous venez le chercher » Ainsi fut fait ; il lui fallait une certaine dose de courage à ce garçon car il habitait la deuxième maison après le pont, celle qui était voisine du poste de garde allemand. Après avoir déposé le vélo derrière un buisson, je monte sur la voiture, creuse un trou et rassemble de la luzerne sur moi ; le conducteur n’est pas tranquille bien sûr ! Il monte pour vérifier l’état de mon installation et à larges brassées rend au chargement une allure parfaite. L’esthétique y gagne, mon bien-être diminue d’autant ; Cependant je m’y trouve fort bien, malgré la chaleur, tant il est vrai que les sensations produites par une même cause varient selon l’état d’esprit du moment ; après avoir parcouru quelques mètres, l’attelage fait halte ; j’entends : « Vous ne vous montrerez pas au premier arrêt, car je serai devant la maison. J’ouvrirai la grange et je rentrerai la voiture » Ainsi tout se déroule parfaitement ; le père est heureux du bon tour réalisé par son fils mais la mère ne recouvre sa tranquillité que lorsque le jeune homme revient, tout fier, sur la bicyclette. Je partage bien volontiers le repas familial et continue ma route non sans emporter quelques lettres que je dois poster en zone libre. Je couche à Selongey.

15 août 1940.

Partant de bonne heure, par une journée ensoleillée, je roule allègrement vers le sud. A onze heures, traversant Dijon, je m’arrête pour acheter des cigarettes. Entrant au bureau de tabac je m’entends appeler. La chance est toujours avec moi. Elle se manifeste par la présence d’une dame de Rosières-aux-Salines que l’exode avait poussée là. « Madame S » m’invite à déjeuner et me fournit l’adresse d’une brasserie à Chalon-sur-Saône où des indications me seraient données. La route est belle et facile entre Dijon et Chalon, ça roule tout seul, mais un bon demi frais est le bienvenu au bord de la Saône.

Le patron m‘indique un lieu de passage. A quelques kilomètres, une petite rivière, large de deux ou trois mètres sert de frontière. Dans cette journée du 15 août, les pêcheurs sont assez nombreux sur la rive de la zone occupée. L’un d’aux me dit « C’est bon va, la patrouille a dû passer, vous pouvez y aller. ! » Il m’aide à passer mon vélo. Il est 18 heures ; je suis en zone libre. Par la suite, plusieurs évadés furent tués en cet endroit, les Allemands ayant installé un service de surveillance permanent dans la vallée.

Ce jour-là, je m’arrête à Sennecey-le-Grand et le lendemain gagne le centre démobilisateur de Bourg-en Bresse.

14 septembre 1940.

Au début de septembre, il est permis aux évacués de regagner leur demeure en zone occupée mais non en zone interdite. Je me fais démobiliser le 13 et le 14 décide de regagner la région parisienne où j’ai des amis employés à la SNCF. Cette fois, je veux faire comme tout le monde, rentrer par le train pour franchir la première ligne. C’est en pédalant entre Bourg et Mâcon que j’en prends le parti. Des papiers me sont nécessaires.

Je possède de belles photos. J’achète une carte d’identité à couverture rouge, un timbre et me rends à la mairie de Macon. Il faut rendre hommage à la compréhension des Français ! Le brave secrétaire complète les formules sous ma dictée. Je devins ainsi un nouvel habitant de Bondy (Seine). Il n’a rien exigé qui confirme mes déclarations. Avec un bon sourire, il me rend la carte ornée de ses beaux tampons et me souhaite bonne chance. Un peu plus tard, confortablement installé dans le train de Paris, je subis le contrôle à Chalon-sur-Saône. « Gut » dit l’Allemand qui vient de vérifier ma carte.

20 septembre.

La solde perçue à Bourg  s’épuisant, il me faut rentrer. Un train circule en direction de l’Est via Chaumont, limite de la zone occupée. Le 20 septembre, dans l’après-midi,  je sors de la gare de cette ville. Après avoir récupéré ma bicyclette, j’aborde un cheminot, lui demandant comment passer la ligne. Il me donne l’adresse d’un café à Choignes à quelques kilomètres de là. Il est environ 17 heures lorsque j’y parvins. La patronne, bien gentiment me dit « Les Allemands ont coulé les barques, je ne puis plus vous passer. Mais présentez-vous à la sentinelle. Vous lui direz que vous rendez visite à la cousine « M.. » ; elle habite de l’autre coté, sur la gauche, derrière les arbres. » Confiant, j’avance vers le soldat qui garde le pont. Présentant ma carte d’identité, je lance « Je vais voir la cousine M.. » et tente le passage. « Nein ! Nein ! bureau! Schreiben!» crie l’homme en vert. Dans le bureau voisin, le chef de poste s’exprime en français. « Alors, que désirez-vous ? – Je désire rendre visite à la cousine M.. » Elle habite de l’autre coté. – Ah ! Vous aussi ? » me dit-il en ouvrant son cahier sur lequel tous les passages étaient notés. A sa vue, il apparaît clairement que ce mobile de franchissement du pont est beaucoup utilisé. A ce moment, qui me paraît légèrement critique, je me mets à parler allemand disant que je l’ai appris à l’école mais que je n’en connais plus guère. Oh ! magie du verbe, puissance de la langue maternelle, même très écorchée ! la physionomie de du sergent se fait pus avenante. Il explique alors à son voisin que « cousine M… » est une petite femme qui habite de l’autre coté, puis me demande « Combien de temps vous faut-il ? – Oh ! une heure !- Bien, ça va, seulement vous repasserez bien par ce pont, par l’autre vous ne pourriez pas rentrer » Il note fort consciencieusement, nom, prénom, adresse, motif de passage sur son cahier et me rend ma carte d’identité. Maintenant encore je suis étonné en revivant le déroulement de cette scène. Imaginez un peu la réaction d’un Français mis à la place du chef de poste allemand. On ne peut la concevoir que suivant un cours tout différent. Je ne trouve qu’une explication. Cette pauvre « cousine M.. » qui m’est encore inconnue. Elle devait avoir mauvaise réputation.

A.C. 79° RIF 3° CEF 39-40. 

Vers 18 h, 20 septembre.

Je franchis ainsi canal et Marne mais au lieu de me rendre chez la cousine, je pars dans un chemin sur ma droite et sans le savoir me dirige vers la ligne de chemin de fer Chaumont-Neufchâteau que j’atteins quand il fait nuit. Une gare éclairée Briaucourt peut-être ? Un dernier train vers 21 heures pour Neufchâteau. Je couche sur un divan à l’hôtel. Le lendemain, je regagne Nancy à bicyclette.

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